La décolonisation du Congo est peu documentée et rarement présente, aussi bien dans les programmes scolaires que dans les documentaires accessibles au grand public. Ce constat alarmant, celui d’un vide historique et cinématographique possiblement volontaire, motive Johan Grimonprez à réaliser un documentaire sur ce vaste sujet.

L’impossibilité d’une exhaustivité totale sur un documentaire de 2h30 pousse Grimonprez à choisir une approche originale : celle de la musique et des artistes afro-américains des années 1950-1960. Ce biais, fascinant au demeurant, provient de l’intervention de certains artistes lors d’une session du Conseil de sécurité de l’ONU, venus protester contre l’assassinat du Premier ministre congolais de l’époque, Patrice Lumumba.

Ainsi, le film élargit le simple sujet de la décolonisation d’un pays à celui de l’implication des intellectuels d’une époque : tantôt figures de contestation, tantôt agents au service d’un État impérialiste et interventionniste, ils résonnent parfaitement avec les images d’archives qui composent la majeure partie du métrage.

Car c’est bien le travail de recherche mais aussi de montage qui saute aux yeux lors du visionnage de Soundtrack to a coup d’État. Recherche d’abord, car Grimonprez ne se contente pas des images d’archives facilement accessibles sur Internet ou dans les institutions officielles. Celles-ci sont bien présentes dans le film, posant le décor d’une décolonisation tragique. Mais, diplômé en ethnographie, il va surtout puiser dans les archives intimes et familiales, qui donnent tout son sel au projet.

Le travail de montage, ensuite, est exemplaire : il parvient à donner corps à une histoire qui se recompose sous nos yeux. Oscillant avec brio entre archives télévisuelles, archives personnelles, publicités, et séquences de concerts ou de clips de musique afro-américains des années 1960, Soundtrack to a coup d’État devient une danse politique en faveur d’une meilleure compréhension d’une période sombre de l’histoire belge. Grimonprez, à la fois réalisateur et monteur, sait attirer le regard du spectateur sur des éléments précis de ce récit historique. Sans jamais chercher le grand spectacle, il choisit l’implantation subtile de certaines séquences pour capter l’attention, choquer ou émouvoir.

L’insertion d’une publicité pour Apple, dont le son est mixé bien au-dessus du reste du film, frappe par sa virtuosité. Elle interroge immédiatement sur ce qu’il nous est permis de voir et de comprendre. Surpris dans un premier temps — pensant même à une erreur de projection —, le spectateur comprend que cette publicité vient faire dialoguer passé et présent. Apple, comme Tesla et bien d’autres entreprises multimillionnaires, dépendent aujourd’hui encore des ressources minières congolaises, et le propos du film s’en trouve considérablement approfondi. Ce conflit n’est pas vraiment terminé : bien que réalisé en 2023, le documentaire rappelle combien le Congo reste au centre de l’attention internationale. Khrouchtchev n’est plus, mais sa volonté de défendre, face à l’impérialisme étasunien, une certaine vision du Tiers-Monde émergent à l’époque perdure. Bien entendu, les propos de Khrouchtchev sont à nuancer, mais une certaine fascination se crée de ce bras de fer entre l’URSS et les Etats-Unis pré crise des missiles de Cuba.  

Aujourd’hui, exploité aussi bien par le Canada que par la Chine, le Congo demeure un symbole d’une colonisation passée qui semble n’avoir changé que de forme juridique et politique, mais prospère encore au nom d’un confort occidental — et désormais asiatique — morbide. Ainsi, par de simples archives magistralement montées, Grimonprez interroge à la fois une période sombre de l’histoire de son pays et un présent tout aussi dérangeant.

Et si, reprenant sa place d’intellectuel engagé, Grimonprez ne donnait pas une nouvelle forme au cinéma politique des années 2020 ? Celle de la véracité, historique autant que formelle. Dans les méandres des archives, il extirpe l’essence même du travail de l’historien et, par le montage, lui offre un corps et un public potentiellement bien plus large et réceptif.


Image de couverture © Les Valseurs