À l’annonce d’un nouveau Jurassic World, le nom de Gareth Edwards résonnait comme une lueur d’espoir et de cohérence dans la filmographie d’un réalisateur habitué aux monstres et au gigantisme. Son talent pour la mise en scène l’a déjà sauvé maintes fois de scénarios superficiels qu’il a pu recevoir ou écrire lui-même. Si cela prêche parfois dans l’aspect humain ou thématique de ses sujets, il se rattrape rapidement par le point de vue qu’il adopte. Souvent à hauteur d’hommes pour mieux contempler ce que l’on peut voir au-dessus de nous. L’utilisation de la contre-plongée devient ainsi récurrente pour accentuer l’étendue d’un appareil futuriste voire d’un monstre. Ne tenant jamais entièrement dans le cadre, ceux-ci sont alors suggérés par les éléments du décor, que le réalisateur utilise pour jouer sur l’échelle de grandeur. Dans l’introduction de Rebirth, on passe de l’infiniment petit – un papier de Snickers au ras du sol – à une échelle humaine jusqu’à l’apparition du Distortus Rex qui finit par occuper tout l’espace disponible. 

Face à cette prémisse et avec l’apparition du titre qui surgit sur des notes stridentes – à la manière d’une ouverture de série B -, on pourrait s’attendre à un film efficace dont l’unique but semble être de montrer les dinosaures comme des créatures aussi merveilleuses que terrifiantes, à l’image des premiers films de la saga. Or, ce film penche également du côté de J. A. Bayona et son très débattu Jurassic World : Fallen Kingdom que de Steven Spielberg. Bien qu’il soit difficile d’apprécier la dernière trilogie dans son ensemble, Bayona avait su dans ce second opus assumer les faiblesses de son scénario pour livrer une œuvre assurément divertissante, remplie de séquences et d’images qui restent imprimés dans nos esprits : l’introduction horrifique, la disparition des dinosaures lors de l’éruption d’un volcan ou encore l’ambiance gothique d’un manoir pendant le climax. Les péripéties dignes d’une série Z (clonage humain, ventes aux enchères de dinosaures, affrontements entre créatures dans un manoir digne de Resident Evil 1) n’empêchent pas Bayona de créer un affect humain et émotionnel à l’image du sentiment d’inquiétude qui naît à chaque danger. Il exploite ces moments – parfois absurdes – dans ses derniers retranchements, toujours avec sérieux. Cela se résulte dans une mise en scène qui encapsule chaque événement dans une multitude d’images florissantes. La venue nocturne d’une de ces créatures dans une chambre ne les aura jamais rendues aussi terrifiants. D’ailleurs ce lieu et la montée en tension de cette scène n’est pas sans rappeler Nosferatu avec l’ombre d’une main qui s’approche d’un personnage et qui est cette fois-ci remplacé par la griffe d’un dinosaure au-dessus du lit. Une filiation horrifique profondément assumée. De ce fait, la quête de réalisme s’efface au profit d’une histoire qui immerge complètement son spectateur dans les successions d’événements que l’on peut voir. 

Si ces images ne sont pas aussi marquantes chez Gareth Edwards, il garde toutefois cet aspect plus sauvage des dinosaures lorsqu’il faut filmer les scènes d’action. Ce sont eux qui dominent l’écran dans des séquences brutales où l’apprivoisement n’a pas sa place. Il en ressort une séquence avec un T-Rex qui tente par tous les moyens de chasser des personnages sur une rivière. Réduits à l’état de proies et ramant dans un bateau, ils deviennent minuscules face aux décors tropicaux qui les écrasent de chaque côté, ce qui ne laisse qu’une ligne de fuite, celle d’un dinosaure qui les poursuit. Cet aspect fonctionne à quelques reprises dans le récit, le cinéaste sachant comment rendre les créatures préhistoriques imposantes et dangereuses, parfois aux frontières de l’horreur. Tout particulièrement lorsqu’apparaît la mutation dans les dernières minutes qui à la manière de Godzilla se voit être révélée par petit bout, caché par la fumée. D’abord il est furtivement présenté par l’une de ses griffes puis ensuite sa mâchoire lors d’un brutal d’un crash d’hélicoptères. Il ne rentre (presque) jamais dans le cadre, signifiant sa possible immensité.  Cependant à la différence de Bayona, le réalisateur n’embrasse pas la superficialité de son scénario, ou du moins il le prend trop au sérieux par rapport aux péripéties qui y sont proposées. Là où Fallen Kingdom ne s’arrêtait jamais dans ses événements, Rebirth, lui, impose des moments de pause censés développer les personnages. Malgré cela, l’aspect humain du récit manque cruellement d’empathie envers eux. Ceux qui sont destinés à mourir disparaissent sans qu’on puisse trop s’en soucier, voire s’en amuser. Les survivants, notamment la présence de la famille, viennent eux, obstruer le groupe principal dans leurs actions. Cela crée une sorte de quête secondaire parallèle dont l’intérêt ne réside qu’aux possibles rencontres qu’ils pourraient faire. L’exception réside toutefois dans ce fameux groupe, notamment avec le duo Scarlett Johansson & Jonathan Bailey qui parvient à certains instants à transmettre la tension ou l’admiration pour les dinosaures auxquels ils font face. Cela rappelle d’une certaine manière la dynamique de groupe et de caractérisation du film original. Où les personnages vont par leurs actions se rapprocher et déteindre sur les autres. L’admiration du paléontologue étant transmise à ses camarades lors d’une séquence qui en vient justement à reprendre la musique de John Williams.  Toutefois, ces péripéties ne parviennent pas à effacer les soucis d’écriture du film. On en revient constamment aux caricatures des personnages. S’il ne s’agit pas de cette famille conflictuelle, ce sera le personnage de Rupert Friend, homme d’affaire des plus stéréotypés qui va à chacune de ses actions suivre une trame narrative des plus linéaires, jusqu’à bien évidemment mourir dans la gueule d’une des créatures. Cela en vient à nous faire sortir du film pour n’en constater que les défauts. Le summum sera atteint par la niaiserie de ce faux sacrifice final de Marshalla Ali. Un acte qui partait d’une bonne intention – sauver une petite fille comme une forme de rédemption pour la mort de son fils –, mais aussitôt vidé de toute émotion après son sauvetage dans les scènes qui suivent. Au final, Jurassic World Rebirth s’assimile à sa nouvelle mutation. Un monstre protéiforme – reprenant des bouts d’autres cinéastes – que l’on approuve pour certaines parties de son apparence mais que l’on rejette une fois la totalité mise en lumière.


Image de couverture © Universal Studios