« Prononcez le mot secret et gagnez cent dollars. George, qui sont nos premiers concurrents ? George… ? Tu es là George ? »
Ainsi s’ouvre ironiquement le roman Marche ou crève de Stephen King (signé sous son alias Richard Bachman) que Francis Lawrence adapte ici sous les coups d’un nouveau battle royale. Annonciatrice de l’histoire du livre et de son adaptation, cette citation – issue du jeu télévisé créé par un membre des Marx Brothers – prépare à des événements funestes dont l’argent en serait, une nouvelle fois, l’objectif. Cinquante adolescents (contre cent dans le livre) participent à La Longue marche, un événement retransmis à la télévision américaine, qui permettra au dernier survivant de remporter une grande fortune et la réalisation d’un vœu. A contrario, si une personne ralentit dans le kilométrage impartie, fuit ou s’attaque à un militaire, elle est exécutée d’une balle dans la tête. Le roman originel est une charge virulente de l’enrôlement de jeunes adolescents pendant la guerre du Vietnam, à l’esprit héroïque ou patriotique pour certains, volonté de gloire et abondance de violence envers « l’ennemi » pour d’autres. Tous ces éléments se retrouvent dans l’introduction en bonne et due forme de cette mouture 2025 signée par Francis Lawrence, le fossoyeur en règle du roman Je suis une légende de Richard Matheson. Une arrivée dans un simili poste militaire en compagnie maternelle, une plaque d’identification et un numéro sont décernés aux participants, et la présentation des têtes brûlées participant à cette marche de la mort, achève une introduction lambda et similaire à la pléthore de films de guerre, qui sera malheureusement annonciateur de la suite du long-métrage, une bête adaptation.
Que ce soit pour le fil des événements, à la fois fidèle dans les longs dialogues aussi philosophiques qu’accompagné d’un humour graveleux, le film dévoile un bref soufflet de la souffrance humaine de la pénible pénitence pour les participants (cernes, nourriture, excréments) pour les spectateurs du film et non des tierces personnes regardant une retransmission n’apparaissant pas à l’écran, un écran de télévision que Francis Lawrence se refuse de filmer, mais qu’il énonce dans un dialogue d’exposition en début de film. Les éléments illustrant la souffrance cités précédemment sont également énoncés, mais cette fois montrés en un seul événement servant de prétexte narratif se concluant en un bête plan d’un tir dans la tête. La mise à mort est donc absente au travers de la mise en spectacle pour un spectateur inexistant qui serait en hors champ rivé sur un écran de télévision. Il ne faudrait pas être un long-métrage virulent et violent sur un pays se dévoilant comme il est réellement, un champ de mort. Pour ce que le long-métrage veut nous montrer de la traversée volontaire d’une jeunesse désabusée et au commencement volontaire de ce massacre, cette destruction du corps et de l’esprit, est résumée en une problématique résolue dans le kilomètre obligatoire à respecter qui sert également de titrage. On dit au revoir aux diverses citations cinglantes du support original. Les divers environnements de l’Amérique profonde sont de simples cartes postales, allant du commerce romerien, à une église, en passant par la ruelle pluvieuse de conclusion. Ils ne sont que décors, inutilisés et une absence de notion spectatorat où quelconque discours sur le pays auquel le faiseur hollywoodien n’accorde que des plans d’ensemble contextuels. Les marcheurs ne sont également pas gâtés. Le film se contente également de mise en situations des diverses problématiques qu’implique un tel geste, une longue marche pouvant détruire un corps et son esprit. De pauvres champ-contrechamps habillent les nombreuses laborieuses conversations sur l’amitié, le lien paternel, les difficultés corporelles, qui quelquefois absentes et apparaissent pour créer une situation qui sera abandonnée par la suppression immédiate du personnage concerné. Francis fait donc du Lawrence en simple exécutant, en montrant bêtement ses idées, sans les mettre en scène. Disons adieu aux longues et horribles descriptions du roman sur des ampoules de pieds, aux boucles de ceintures gênantes, les pieds ensanglantés ; l’horreur frontale, habituellement piégeuse dans les nombreuses adaptations du maître de l’horreur sont malheureusement absentes. Le constat dans la globalité est misérable sur cette adaptation, l’assimilation dans la mise en scène en file indienne à des zombies, pour nos marcheurs semble être un sursaut dans l’amas de médiocrité et d’automatisme. Elle trouve consécration dans un énième travelling sur un des participants tentant de fuir dans un commerce (symbole de consumérisme) n’ayant rien à envier à Romero et son Zombie, et trouve la mort dans l’action qui s’ensuit. La brutalité qui fut jusqu’alors racoleuse et cache misère trouve enfin un sens pendant un instant. Un corps détruit cherchant la fuite et le militaire pour Lawrence ou Romero est un symbole de violence extrême. Dans ces quelques instants, Francis Lawrence le faiseur de dystopie politique pour adolescent ou pour un spectateur facilement choquable, touche du doigt une possibilité de mettre en scène la mort de la jeunesse et d’un pays, qui l’instant d’après est évacuée pour un retour aux fastidieux dialogues qui habille la longue marche. Espérons donc que l’adaptation par Edgar Wright de Running Man, autre roman miroir également écrit par le fameux Bachman, soit également un écho plus violent et courageux que cette tiède adaptation.
Image de couverture © Lionsgate